Acousmatique : état des lieux – perspectives

Les genres musicaux novateurs s’éteignent souvent par leur incapacité à évoluer, à s’ouvrir aux recherches en cours, et par l’immobilisme d’un enseignement trop conventionnel, voir sectaire …

Victime de son succès tout relatif et par l’apparition de jeunes générations moulées dans le dogme, l’acousmatique se retrouve actuellement confrontée à son devenir : soit elle se dirige vers une lente extinction, soit elle surpasse certains postulats qui entravent présentement tout processus évolutif.

Tout d’abord il lui faut sortir de cette aberration qu’est “l’interprétation” d’une œuvre déjà interprétée lors de son enregistrement/fixation sur support. Cette prétention est absolument invraisemblable comparée à l’exécution d’une musique instrumentale qui n’existe pas tant qu’il n’y a pas interprétation de sa partition. Et cela ne sera pas facile au regard de tout ce prétendu “académisme” qui promeut cette absurdité via multe-stages & concours.

Ensuite il faut que les acousmates admettent, et ce n’est pas une mince affaire, l’obsolescence de la plupart de leurs outils principaux de diffusion et de mixage. L’acousmonium qui fut – dans les années 70 – une merveilleuse invention se retrouve actuellement dans la même situation que le piano forte face au piano “moderne”.

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Satosphère +Audiodice @ la SAT de Montréal

L’accélération des évolutions technologiques donnant maintenant la possibilité de composer puis diffuser en x, y & z, penser puis réaliser une œuvre acousmatique en x,y aujourd’hui, c’est faire fi de toutes les recherches qui ont été menées depuis des décennies dans les différents instituts de par le monde et c’est surtout nier toute l’importance fondamentale de la situation du son et de sa vibration dans l’espace sachant que celui-ci n’est pas plat.

La définition même de l’acousmatique étant d’entendre le “son-bruit” sans en voir ni connaître la source, une ouverture plus large aux formes d’arts sonores accointantes que sont le field recording, les points d’ouÏes, les parcours sonores, etc. apparaît vivement souhaitable.

Il est grand temps que les compositeurs fassent preuve d’un peu plus d’imagination en évitant de s’en remettre aux seuls acousticiens & ingénieurs du son et leur normation de l’écoute dans l’espace. Car l’immersion, jusqu’à présent, n’a été considérée et expérimentée principalement que dans un seul sens : entourer, en mode cartésien, l’auditeur qui du coup n’a pas d’autre choix que de se situer à la place du prince ¹.

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Il faudrait tout d’abord penser spatialement l’œuvre à composer pour qu’elle puisse être écoutée non seulement en son sein, mais tout autour : en-dessous, au-dessus, derrière, à gauche, au centre, à droite, frontalement, etc. Puis, parallèlement à l’écriture spatiale de la partie musicale, il serait très intéressant de concevoir et d’écrire le parcours de l’auditeur dans l’œuvre et sa durée, pour que celui-ci ne se retrouve jamais dans une zone d’ombre d’écoute et afin qu’il soit toujours positionné au meilleur endroit, à chaque instant du déroulement de l’œuvre.

Tout cela demande de repenser entièrement les lieux de diffusion pour qu’ils deviennent eux-même un parcours en 3D (avec des coursives aériennes, des sous-sols, toutes sortes de méandres et combinatoires qui seraient les bienvenues).

Une musique qui concerne un public restreint et des festivals s’auto-satisfaisant quand ils rassemblent une petite centaine d’auditeurs révèle le gros problème actuel de l’Acousmatique car la médiation nécessaire et les partenariats à établir n’ont pas suffisamment été développés. Hormis les entre-soi “ je t’invite puis tu m’invites “, chacun⋅e se complaît dans sa chapelle et les rares événements dignes de ce nom se déroulent principalement dans les quelques grands instituts existants. Cependant, plusieurs initiatives existent via des communautés, des fédérations de compositeurs, des réseaux telles la CEC, le FeBeME, le réseau inDREAM network, etc.

Mais certainement, le plus grand problème que l’Acousmatique va devoir résoudre, c’est sa soutenabilité, voir son existence même, face à la raréfaction des ressources minières et face à la décroissance obligatoire si l’humanité veut retarder sa disparition anthropique. Comme le définit très bien Thierry Salomon ² avec son concept de la sobriété comme une « intelligence de l’usage » qui distingue quatre leviers d’économies d’énergie : • La sobriété structurelle qui consiste à réorganiser nos activités et l’espace de manière à favoriser des usages peu énergivores. • La sobriété dimensionnelle qui vise à réduire autant que possible la taille de nos équipements. • La sobriété d’usage qui nous invite à modérer l’utilisation desdits équipements. • La sobriété conviviale qui relève d’une logique de mutualisation des équipements et de leur utilisation. L’Acousmatique doit répondre holistiquement, sans se fermer les yeux, et très rapidement en innovant dans les outils (espaces de diffusion, dispositifs haut-parlants, etc.) nécessaires à sa pérénité.


¹ Avec ce genre de dispositif, que ce soit un cube ou un dôme, l'effet optimal n'est accessible qu'à quelques personnes situées au centre et la dégradation de l’écoute augmente à mesure que l'on s'éloigne du centre. Ainsi, seules quelques personne, au mieux quelques dizaines, peuvent assister à une diffusion spacialisée dans de bonnes conditions d’écoute. ² ingénieur énergéticien et vice-président de l’association Négawatt

March 2024

Texte publié dans le n°152 de la Revue TK-21

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Jean VOGUET Composer Acousmatic Geophonies & Heterotopias – Volumiphony