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l'oreille en 3D

« Rencontres Acousmatiques 2025 » linktr.ee/cranelab Variation as Volume Gilles MALATRAY desartsonnantsbis.com

Suite aux dernières « Rencontres Acousmatiques 2025 » du CRANE lab, des écoutes et discussions, je remets à nouveau l'écoute associée aux paysages en question.

Écouter nous demande de nous inscrire dans un espace donné, où gauche/droite, devant/derrière, dessus/dessous, proche/lointain, mobile/immobile, font de notre oreille un outil sollicité dans tous les sens, et parmi tous les sens, pour entre autre nous situer dans un espace-temps auriculaire.

Malgré la directivité affichée de nos oreilles, pavillons pointés vers l'avant, alors que d'autres espèces vivantes possèdent des organes plus mobiles, directives, orientables, notre sphère géographique d'écoute se déploie dans de multiples dimensions, quasiment à 360°.

Les sons nous situent dans l'espace, la cloche, la fontaine, la route, la voix ferrée... Ils nous donnent des échelles de grandeur, de distance, des axes, des horizons plus ou moins dessinés. Ils nous situent aussi dans le temps, le bus ou le train qui passe, la sirène du premier mercredi du mois, la volée de cloches de l'Angélus, l'épicerie ambulante … Ces sons spatialisés, ces aménagements, objets ou véhicules, rythment et dessinent des formes d'architectures sonores, nous donnant à la fois des marqueurs, des limites, des plans qui nous renseignent notamment sur la qualité ou la non-qualité des espaces acoustiques ambiants, sur la lisibilité ou la perception chaotique et brouillée de ces derniers. Ces signaux sonores sont également représentatifs d'espaces sociaux partagés.

Je me souviens, lors d'un travail sur les paysages sonores jurassiens, d'un habitant d'un petit village qui me racontait que, aux beaux jours, lorsqu'il n'entendait pas sa voisine ouvrir ses volets tôt le matin, il s'inquiétait de la savoir bien-portante, voire bien vivante. Des sons endogènes signalaient l'ouverture matinale du rideau de fer de l'épicerie-bureau de tabac-dépôt de pain-bar, comme un signal positif, qui faisait entendre un village qui se réveillait, et restait bon an mal an en vie.

De la forêt au village en passant par les grands centres urbains, les espaces sonores contextualisent et caractérisent nos espaces de vie, de travail, de loisir. Selon nos connaissances, ou méconnaissances du terrain, ils nous envoient des signaux esthétiques, situés, qui parfois nous font sentir chez nous, parfois participent et/ou accentuent un sentiment de dépaysement, avec ses côtés exaltants, comme avec ses inconforts devant des situations inhabituelles.

L'espace sonore que je qualifierai ici de 3D, multidimensionnel, peut être composé, joué, via des dispositifs électroacoustiques multicanaux, immersifs, mais aussi, et c'est une large partie de mon activité d'arpenteur écoutant, appréhendés à oreilles nues, sans parfois d'autre projet compositionnel que celui de la marche écoutante, du PAS-Parcours Audio Sensible vécu et entendu in situ.

Les espaces acoustiques, esthétiques, ou esthétisés par des oreilles aventureuses, jouent en révélant, ou mettant en scène tous les plans sonores horizontaux, verticaux, en profondeur, qui placent l'auditeur au cœur de ce que je nomme un point d'ouïe, sweat-spot chez nos collègues anglo-saxons. Le lieu point d'ouïe, c'est là où il est bon d'être en tant qu'écoutant, espace construit, aménagé ou non, pour jouir d'une écoute active stimulante. C'est le bon endroit (au bon moment), une forme de kaïros, pour profiter au mieux d'espaces sonores qui dépassent largement les stéréophonies latérales. Au cœur de ces points d'ouïe, on peut percevoir une 3D acoustique préexistante, « naturelle », ou construite de toute pièce par le biais de créations ou d'aménagements sonores. La création sonore associée au field recording, parfois à l'installation, au concert immersif, fera passer le promeneur écoutant vers un statut d'auditeur actif, voire de compositeur, de créateur sonore, utilisant des matières audios collectées sur le terrain. La difficulté de passer par la captation sonore est celle d'une immense réduction spatiale, même avec des systèmes immersifs, ambisoniques ou binauraux, performants. L'oreille capte aisément, même inconsciemment, un espace environnant quasi sphérique, aux frontières mouvantes plus ou moins vastes. Sans compter les stimuli affectifs propres à chacun et chacune. L'écoute d'un enregistrement sera généralement assez, voire très décevante quant à sa restitution spatiale, sensorielle, émotive, même dépassant une stéréophonie somme toute assez limitante. Le jeu de la (re)composition électroacoustique, acousmatique, tentera, avec plus ou moins de bonheur, de redonner de l'air aux sons, de les faire circuler autour de l'auditeur, dans un espace qui élargira celui de la captation. Ici entrent en jeu des dispositifs où la place, le nombre des haut-parleurs, les capacités techniques à diffuser les créations en faisant bouger les sons, et bien sûr l'art de l'artiste à recomposer les ambiances, quitte à déréaliser totalement la situation d'écoute initiale pour en garder plus l'esprit que la véracité. Cette posture esthétique assumée est d'ailleurs très souvent convoquée, dans le sillage de musiciens et créateurs sonores tels Luc Ferrari, Knud Viktor, Hildegard Westerkamp, Brandon Labelle, Max Neuhaus, Peter Cusack, Claude Schryer, Bernard Fort …

Le terrain fournit la matière sonore, des modèles de spatialisation. L'artiste, lui, joue de l'écriture à la diffusion, via des outils de composition et de traitement audionumériques. Il recrée des espaces sonores plus ou moins, voire totalement revisités, en tout cas dans une approche paysagère. De l'écoute in situ à l'écriture audio-paysagère, en passant par sa diffusion, son installation, la boucle est bouclée. L'écoute spatialisée, 3D, reste un champ d'exploration acoustique, artistique, notamment dans les créations environnementales, qui a sans doute encore beaucoup à explorer, à inventer, et à faire entendre.


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